The large-nation bias. Most comparisons, whether within the West or with developing polities, have limited themselves to the larger and more influential units and have tended to neglect the richly varied experiences of the smaller polities, particularly the many European “secession states” after 1814, 1830 and 1918 and their histories of nation-building: these are, after all, the units most immediately comparable to recently formed states of the Third World.
Stein Rokkan, 1971, p. 10-11
La taille des nations revêt un intérêt de connaissance classique, auquel réfléchissaient déjà d’illustres penseurs tels Platon, Aristote, Montesquieu et Rousseau. Il s’agit aussi d’un enjeu contemporain, celui d’un monde globalisé où les grands États-nations font de moins en moins figure de modèles universels. Selon le politologue catalan Joseph M. Colomer, deux tiers de la population mondiale vit aujourd’hui dans une petite nation (2007, p. 19). Elles remettent en question le jeu de la politique internationale (Steinmetz et Wivel, 2010), les opportunités du marché mondial (Van Den Bulcke, Verbeke et Yuan, 2009), les normes démocratiques et étatiques (Keating et Harvey, 2014) et les modèles de nationalisme (Laniel et Thériault, 2020).
Elles posent également des questions épistémologiques et méthodologiques pour les sciences sociales habituées aux perspectives des sociétés de moyennes et grandes tailles. Que voit-on et que vit-on à l’autre bout du regard que les grandes nations projettent sur le monde (Boucher et Thériault, 2005a, p. 3)? Peut-on faire de ce regard autre, de ce regard petit, non hégémonique et fragile, un outil heuristique pour comprendre les enjeux de nos sociétés contemporaines? Comment y réagit-on aux grands processus modernes, par exemple la mondialisation et ses appels à une convergence des cultures? Quelles sont les expressions les plus courantes de la « petitesse », ainsi que ses cas-types historiques et contemporains? Comment y entre-t-on, comment en sort-on, comment le mesure-t-on, politiquement, économiquement, culturellement, religieusement et cognitivement?
Ces questions sont discutées et ces notions sont employées au Québec depuis longtemps, et avec une vitalité renouvelée depuis quelques années. Déjà, François-Xavier Garneau, Lionel Groulx et Fernand Dumont réfléchissaient au Canada français et au Québec comme « petite nation ». Plus récemment, on recense notamment les ouvrages de Gérard Bouchard en études des mythes (2013a,b), Alain-G. Gagnon en études des sociétés plurinationales (2011), Stéphane Paquin (2001, 2016) et Hubert X. Rioux (2020) en économie politique, François Paré (1994a,b) et Isabelle Daunais (2015) en littérature, et Joseph Yvon Thériault (2005, 2020) en sociologie politique, souvent dans une perspective comparée, avec pour vis-à-vis les nations d’Europe centrale et orientale, les États scandinaves, les nations sans États souverains d’Europe de l’Ouest. Parfois même, ce sont des universitaires étrangers qui invitent les chercheurs québécois à concevoir leur société au prisme de la petitesse (Hughes, 1953). Cette fécondité pérenne du prisme d’analyse des petites sociétés invite à en consolider l’objectivation et à en poursuivre la problématisation (Cardinal et Papillon, 2011; Laniel, 2018, 2021).
Si ces questions furent celles d’États-nations occidentaux d’Europe centrale, orientale et du nord, ainsi que celles des nations sans État souverain d’Europe de l’Ouest, elles ne s’y limitent pas. Situées dans le voisinage de la Chine, intégrées à la pointe de la modernité technique et économique, plusieurs nations d’Asie, dont certaines insulaires comme le Japon, partagent les préoccupations des petites nations occidentales, et se cherchent des comparatifs. C’est précisément à l’élargissement inédit de l’aire d’études des petites nations que se consacrera la journée d’étude Les petites nations au Québec et en Asie : regards et réalités comparés. En quoi leur réalité est-elle semblable, et différente? Quels enseignements peut-on tirer de leur comparaison? Quelles conceptions de la modernité et de l’universel peut-on en dégager?
Pour répondre à ces questions, cinq chercheurs québécois discuteront avec cinq chercheurs japonais d’horizons disciplinaires variés dans le cadre du Global Studies Initiative de la University of Tokyo et de son projet de recherche « Revolutionalizing the concept of the “universal” through the experiences of small nations and collectivities », sous la direction du Prof. Kiyonobu Date.
— Jean-François Laniel
English follows
The size of nations is a matter of interest in Western political thought, discussed by illustrious thinkers from Plato and Aristotle to Montesquieu and Rousseau. It is no less a contemporary concern, particularly in today’s globalized world where the large nation-state model is losing universality. According to the Catalan political scientist Joseph M. Colomer, two-thirds of the world’s population now live in small nations (2007, p. 19). These polities pose challenges to international relations (Steinmetz and Wivel, 2010), global market opportunities (Van Den Bulcke, Verbeke, and Yuan, 2009), democratic and state norms (Keating and Harvey, 2014), and models of nationalism (Laniel and Theriault, 2020).
Small nations also raise epistemological and methodological questions for social scientists accustomed to the perspectives of medium and large societies. What can we see and experience if we reverse the gaze that dominant, larger societies habitually cast on smaller ones (Boucher and Thériault, 2005a, p. 3)? And mightn’t another perspective—the small, non-hegemonic, fragile view—serve as a heuristic tool to understand the issues facing our contemporary societies? How do we react to the great processes of modernity, such as globalization and its calls for cultural convergence? What are some common expressions of “smallness,” and its historical and contemporary types? How do subjects enter into smallness, how do they exit from it, and how can we even measure it, politically, economically, culturally, religiously and cognitively?
In Quebec, where these issues and concepts are in longstanding use, they have resurfaced with new vitality in recent years. Early thinkers such as François-Xavier Garneau, Lionel Groulx, and Fernand Dumont already conceived French Canada and Quebec as a “small nation.” More recently, the matter has been taken up by Gérard Bouchard in myth studies (2013a,b), Alain-G. Gagnon in studies of plurinational societies (2011), Stéphane Paquin (2001, 2016) and Hubert X. Rioux (2020) in political economy, François Paré (1994a,b) and Isabelle Daunais (2015) in literature, and Joseph Yvon Thériault (2005, 2020) in political sociology, often from a comparative perspective that studies the nations of Central and Eastern Europe, Scandinavian states, and Western European nations without sovereign states as counterparts to Quebec. In some cases, the impetus has come from foreign academics who have invited Quebec researchers to envision their society through the prism of smallness (Hughes, 1953). Using small societies as a prism of analysis has proven perennially instructive, suggesting the need to both consolidate its objectification and pursue its problematization (Cardinal and Papillon, 2011; Laniel, 2018, 2021).
While perspectives have tended to focus on Western nation-states in Central, Eastern, and Northern Europe, along with the stateless nations of Western Europe, they are not limited to these. In the vicinity of China are many Asian nations, including island nations like Japan, that are at the technical and economic forefront of modernity, share the concerns of smaller western nations, and are calling out for subjects of comparison. In the context of this unprecedented growth in the field of study of small nations we will be holding a workshop: Small Nations: Comparative Perspectives from Japan and Quebec. How do these nations’ realities resemble each other, and how do they differ? What lessons can be learned by comparing then? What conceptions of modernity and the universal can be drawn from them?
To answer these questions, five Quebec researchers will share perspectives and engage in dialogue with five Japanese researchers from various disciplinary backgrounds as part of the University of Tokyo’s Global Studies Initiative, and its research project “Revolutionalizing the concept of the “universal” through the experiences of small nations and collectivities”, under the direction of Prof. Kiyonobu Date.
— Jean-François Laniel